Les brusques accès de sommeil pourraient être dus à la narcolepsie
1. Définition
La narcolepsie est un trouble de la régulation des états de veille. Elle est caractérisée par 2 symptômes cardinaux : une somnolence diurne excessive et des attaques de cataplexie survenant en plein éveil. Cette maladie est très proche de la narcolepsie humaine, découverte en 1877 par Westphal puis mieux étudiée en 1880 par Gélineau (d’où son appellation de maladie de Gélineau).
La narcolepsie canine a été découverte en 1973 par William C. Dement (Stanford University) et ses collaborateurs, chez plusieurs races comme le Doberman pinscher, le Labrador retriever, et le Beagle. Le gène responsable de la maladie chez le chien a été découvert quant à lui par Emmanuel Minot et ses collaborateurs (Stanford University) dans les années 1980.
Les chiens narcoleptiques semblent être plus sévèrement atteints que l’homme, notamment en ce qui concerne les cataplexies.
Les attaques de cataplexie correspondent à des relâchements musculaires brusques et complets survenant en plein éveil. Elles peuvent être localisées (mâchoires, membres supérieurs) ou généralisées, entraînant alors une chute et une paralysie soudaine. Elles sont souvent déclenchées par des émotions fortes, agréables.
2. Pathogénie
Cette pathologie se transmet chez le chien selon un caractère autosomal récessif à pénétrance complète, désigné sous le nom de canarc-1.
On a trouvé une région critique sur le chromosome 12 du chien dans laquelle on ne connaissait qu’un seul gène, Hcrtr2. Ce gène code pour un récepteur, couplé à une protéine G, ayant une grande affinité pour les neuropeptides hypocrétines (orexines).
Rappels :
Le sommeil normal est constitué de deux états différents qui alternent au cours de la nuit : le sommeil lent ou profond, pendant lequel le cerveau est au repos complet, et le sommeil paradoxal, pendant lequel il existe une activité cérébrale intense.
Le sommeil paradoxal s’accompagne par ailleurs d’un relâchement musculaire total et de mouvements rapides des yeux (REM).
Les différents symptômes de la maladie peuvent s’expliquer par un fonctionnement anormal des mécanismes cérébraux de régulation des états de veille et de sommeil. La somnolence diurne est en effet une survenue anormale du sommeil au cours de la veille alors que les éveils nocturnes sont une survenue anormale de la veille au cours du sommeil.
Les autres symptômes correspondent à la survenue au cours de la veille de manifestations normalement propres au sommeil paradoxal ; les attaques de cataplexie et les paralysies du sommeil correspondent au relâchement musculaire du sommeil paradoxal qui survient en pleine veille.
La survenue du sommeil paradoxal très peu de temps après l’endormissement est également anormale.
Dans certaines études sur l’origine de la narcolepsie, une méthodologie génétique sophistiquée a été utilisée : étude de linkage utilisant différents marqueurs, emploi de chromosomes artificiels bactériens (BAC), « chromosome walking »…
Le gène HcrtR-2 a été identifié au sein de la région critique. Ce gène code pour un récepteur couplé à une protéine G. On peut suggérer que la narcolepsie provient d’altérations génétiques au niveau de ce gène. On a amplifié par PCR l’ADNc de chiens Doberman narcoleptiques, celui-ci étant de plus petite taille que l’ADNc d’animaux contrôles. Cette différence est due à une délétion de 116 paires de bases, correspondant au quatrième exon. Ceci est la conséquence de l’insertion d’une séquence de 226 paires de bases en amont du site d’épissage. Il en résulte une délétion de 38 acides aminés dans le 5ème domaine transmembranaire et l’apparition d’un codon stop prématuré, conduisant à une protéine tronquée et non-fonctionnelle. Cette mutation n’a pas été démontrée chez les autres races : cela suggère que dans ces autres races, il existe d’autres mutations au niveau du gène HcrtR-2. En effet, on a étudié par PCR l’ADNc de Labradors atteints et contrôles et on démontré une délétion de l’exon 6.
Comment une anomalie au niveau du gène HcrtR-2 peut provoquer une narcolepsie? Il est clair que le contrôle de la vigilance et du tonus implique de multiples systèmes de neurotransmetteurs :
On a montré dans le modèle animal que la stimulation de la libération de la dopamine augmente la vigilance.
Une stimulation de la transmission cholinergique utilisant des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase ou des M2 agonistes stimule la chute du tonus musculaire.
Le plus d’anomalies furent observées au niveau de l’amygdale où une augmentation significative de la dopamine et de ses métabolites est rapportée.
Une injection locale d’agonistes cholinergiques dans la formation réticulée entraîne le sommeil avec mouvements rapides des yeux et/ou sans mouvements chez les animaux narcoleptiques et contrôles. Chez les narcoleptiques, cependant, de plus faibles doses entraînent de l’atonie musculaire, cela suggère qu’ils sont hypersensibles à une stimulation cholinergique.
Une stimulation des autorécepteurs de la dopamine au niveau de l’aire tegmentale ventrale induit une diminution du tonus musculaire et une envie de dormir chez les narcoleptiques et non chez les contrôles.
La narcolepsie peut donc provenir d’interactions anormales entre la voie cholinergique et le système dopaminergique mésocorticolimbique.
Cela signifie aussi que l’orexine B et le HcrtR-2 jouent un rôle neuromodulateur du sommeil en interagissant avec les systèmes aminergique et cholinergique.
En résumé, chez le chien, la narcolepsie est une maladie autosomale récessive résultant d’une mutation au niveau du gène HcrtR-2. Ce gène code pour le récepteur HcrtR-2 qui lie l’orexine B. L’orexine B joue un rôle dans le contrôle de l’alimentation et de la vigilance : elle augmente l’appétit et la vigilance. Ces résultats suggèrent que les orexines et leurs récepteurs constituent une cible pour le traitement de la narcolepsie humaine.
3. Symptômes
L’animal chute pendant les phases de jeu ou pendant l’exercice, sans pouvoir se relever immédiatement, ces crises paralytiques durent quelques secondes. Elles débutent souvent au niveau de l’arrière train avant de se généraliser.
Pendant ces périodes de perte totale du tonus musculaire, l’animal peut rester conscient (œil ouvert et mobile).
On constate aussi des apparitions de phases excessives de sommeil en pleine journée (somnolence diurne), ces crises sont incontrôlables, c’est-à-dire que l’animal ne peut lutter contre l’endormissement même en pleine activité.
Figure 1. Projection des neurones produisant l’hypocrétine. Les neurones
produisant l’hypocrétine sont situés dans l’hypothalamus (hTh) latéral (points
rouges) et se projettent vers le bulbe olfactif (BO), le cortex cérébral, le thalamus
(Th), l’hypothalamus et le tronc cérébral notamment le locus coerulus
(LC), les noyaux du raphé (NR) et la formation réticulée bulbaire (RB)
4. Diagnostics / test de dépistage
La somnolence diurne associée aux accès cataplectiques permet le diagnostic de la maladie.
L’enregistrement polygraphique du sommeil des sujets atteints est caractérisé par des endormissements directs en sommeil paradoxal alors que le sujet sain s’endort toujours en sommeil lent.
Le taux d’orexine A est indétectable dans le LCR des narcoleptiques, il existe de plus une diminution très importante du nombre de neurones hypothalamiques à orexine chez les sujets narcoleptiques autopsiés.
Il existe un test génétique, » Optigen NARC test « , qui permet de connaître facilement et avec précision le » statut » génétique de l’animal face à la narcolepsie.
Ce test est effectué sur un échantillon de sang et revient à 130 $ par échantillon.
Le tableau ci-dessous, nous donne les divers types de profile génétique obtenus après croisement de parents sains, porteurs ou malades.
Résultats possibles après utilisation d’Optigen NARC Test
N= |
Normal (sain) |
Individu homozygote pour le gène normal, donc ne transmettra pas la maladie et n’en sera jamais affecté. |
C= |
Carrier (porteur) |
Individu hétérozygote qui porte donc un exemplaire du gène mutant, qu’il pourra transmettre à sa descendance mais ne développera pas la maladie. |
A= |
Atteint |
Atteint Individu homozygote pour le gène mutant, atteint par la maladie qu’il transmet systématiquement à sa descendance. |
Le tableau ci-dessous, nous donne les divers types de profils génétiques possibles et leur probabilités d’apparition après croisement de parents sains, porteurs ou malades.
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Parent 2: Génotype
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Parent :1 Génotype
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Sain |
Porteur |
Malade |
Sain |
All = Sain |
1/2 = Sain1/2 = Porteur |
All = Porteur |
Porteur |
1/2 = Sain1/2 = Porteur |
1/4 = Sain1/2 = Porteur
1/4 = Malade |
1/2 = Porteur1/2 = Malade |
Malade |
All = Porteur |
1/2 = Porteur1/2 = Sain |
All = Malade |
5. Prévalence raciale
On a constaté depuis les premières études sur le chien en 1973 que de nombreuses races pouvaient être victimes de cette pathologie : Beagle, Labrador et Golden retriever, Braque, Caniche, Teckel et autres terriers, mais la fréquence de la maladie semble plus importante chez le Doberman.
6. Traitement
De nombreuses questions subsistant sur l’étiologie de la maladie, elle ne peut pour l’instant faire l’objet d’un traitement particulier, seuls les symptômes peuvent être traités.
Les amphétamines ou leurs dérivés (méthylphénydate) sont des neurostimulants qui activent les récepteurs à dopamine en vue d’augmenter globalement le niveau d’éveil.
Le modafinil est un autre traitement dont les mécanismes, encore flous, agiraient en stimulant les neurones à orexines et d’autres types de neurones au niveau de l’hypothalamus qui à leur tour permettraient d’augmenter le niveau d’éveil de l’animal.
Le traitement des cataplexies relève avant tout des antidépresseurs tricycliques (clomipramine) ou encore de médicaments non anticholinergiques comme la viloxazine, fluoxétine ou la fluovoxamine.
7. Pronostic et bien être animal
Cette maladie est handicapante mais non douloureuse, elle n’évolue pas avec le temps, en effet une fois complètement déclarée, dans les premiers mois de la vie du chien, elle se stabilise.
Elle n’a à priori aucun impact sur la durée de vie des animaux atteints.
8. Bibliographie
Cell, volume 98, 365-376, August 6, 1999.
http://www.jneurosci.org/cgi/content/full/19/1/248, (le 27-12-04)
http://www.npi.ucla.edu/sleepresearch/sciam.htm, (le 27-12-04
http://sommeil.univ-lyon1.fr/articles/luppi/revues/orexin/sommaire.html, (le 29-12-04)
http://ajpregu.physiology.org/cgi/content/full/283/5/R1079#B45, (le 22-02-05)
http://www.orpha.net/data/patho/FR/fr-narco.pdf, (le 28-12-04)
http://www.institut-sommeil-vigilance.com/public/troubles/troubles_somm_maladie4.htm, (le 03-01-05)
http://ist.inserm.fr/BASIS/medsci/fqmb/medsci/DDD/6025.pdf, (le 28-12-04)
http://www.optigen.com/opt_page.taf?page=monarc, (le 24-02-05)
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