Champ de lin
Parmi deux cents espèces, la plus cultivée est Linum usitatissimum L. (signifie « lin usuel » au superlatif).
Le lin est originaire du Moyen Orient (Egypte, Perse) et s’est adapté à de nombreuses régions. Les communautés néolithiques du Levant le cultivaient déjà sept mille cinq cents ans avant J-C, avec les premières céréales et légumineuses domestiques, pour des usages textiles. On en retrouve trace en France depuis plusieurs millénaires (cités sub-lacustres du Jura) sous forme de fragments de toile. Les archéologues ont également trouvé des peignes à tisser et à serrer les trames, des pelotes de fils, des aiguilles, des fuseaux de bois utilisés pour le filage du lin.
- Pline l’Ancien a consacré un volume de son Histoire naturelle à cette plante qui fournit des fils d’une « blancheur et d’une finesse remarquable … ». Les voiles de la flotte d’Alexandre Le Grand sont fabriquées avec cette fibre ; « les Gaules toutes entières tissent des voiles ». Les techniques détaillées par Pline sont, dans leurs grandes lignes, toujours celles utilisées actuellement.
Le lin : un puissant protecteur du coeur
Le lin possède 50% des acides gras bénéfiques pour la prévention des maladies cardio-vasculaires. « Il s’agit de la graine contenant le plus d’acides gras 3-omega qui, consommés de façon régulière, réduisent l’agrégation plaquettaire : un phénomène pouvant induire la formation de coagulât et donc augmenter le risque d’infarctus » explique le Dr. Tavella, chercheur à la Commission de Recherche Scientifique et Technique (Conicet) et directeur du Programme de prévention de l’infarctus en Argentine (Propia). Celui-ci s’est réuni avec les représentants de l’Institut National de Technologie Agricole (INTA) de Paraná, Entre Ríos et de l’Université Adventiste de La Plata, afin de mettre en marche un projet original : remonter la chaîne agro-alimentaire du lin et introduire ces petites graines dans les aliments de consommation massive.
Observons le lin d’une façon plus générale
La culture du lin est particulièrement délicate. En effet, planté au printemps, le lin pousse en « 100 jours ». Cette courte période végétative rend difficile tout rattrapage en cas d’incident (mauvaise levée, conditions climatiques défavorables…). Le lin doit pousser suffisamment pour avoir un rendement satisfaisant, mais pas trop sinon il est trop fin. Plus il grandit, plus il devient sensible à la verse. Parfois pour limiter la croissance et favoriser la solidité des fibres, on utilise des produits chimiques appelés « régulateurs ».
Le lin, ayant une racine pivot, doit être planté dans une terre finement préparée. Cette préparation de terre puis le semis nécessite des conditions climatiques optimales, et un réel savoir-faire de la part de l’agriculteur. Surtout qu’un loupé peut compromettre la récolte.
Par ailleurs, le lin est une plante exigeante pour les terres, d’autant plus que toute la plante, racine comprise, est récoltée, exportant beaucoup de matières organiques hors des champs. Les rotations de lin doivent donc être très lentes, au minimum 5-6 ans entre deux cultures sur une même parcelle.
Itinéraire technique :
Le liniculteur choisit la variété de lin textile suivant les caractéristiques de chacune d’entre elles et les particularités de ses parcelles.
En fonction des conditions climatiques, les semis ont lieu entre le 1er mars et le 15 avril. 120 kilos de semences certifiées sont alors semées par hectare pour obtenir un peuplement d’environ 1.800 plantes au mètre carré. Cette densité assure le meilleur rapport entre le rendement, la résistance à la verse et les qualités de fibres.
Le lin est une culture qui demande peu d’engrais et peu de produits phytosanitaires. A ce titre sa culture contribue pleinement à la préservation de l’environnement.
Son cycle végétatif est rapide avec une centaine de jours seulement.
Six semaines après les semis, le lin mesure déjà une hauteur de 10 à 15 cm. Capable d’une croissance de plusieurs centimètres par jour dans des conditions optimales, la plante atteint alors 70 à 80 cm en une quinzaine de jours. Cette période correspond à l’élongation des fibres et au remplissage des cellules fibreuses.
Capsules de lin en juillet
La floraison intervient autour du 15 juin, les champs se parent alors d’une subtile couleur bleue pendant à peu près une semaine. Les fibres ont alors atteint leur longueur maximale. Les capsules contenant les graines vont se former au cours des 15 jours suivant la floraison.
La récolte commence vers le 15 Juillet, les lins, trop difficiles à couper, vont d’abord être arrachés, ce qui préserve les fibres les plus longues, et déposés au sol sous forme d’andains par les arracheuses.
Rapidement, après l’arrachage, les lins vont être écapsulés. Les ecapsuleuses-batteuses vont reprendre les andains afin de récupérer les graines de lins. Après avoir été triées et traitées, ces graines serviront de semences pour l’année suivante ou exploitées (huile, aliment…).
En fonction des conditions climatiques, des caractéristiques des lins semés et des parcelles, les lins vont rester au sol entre 2 semaines et 2 mois pour le rouissage.
Favorisée par l’alternance de la pluie et du soleil, une action enzymatique dégrade les pectines qui lient les fibres à la paille. Les liniculteurs vont alors retourner les pailles en cours de rouissage pour obtenir un résultat homogène.
A la fin du rouissage, lorsque les pailles sont suffisamment sèches, elles vont êtres enroulées puis elles seront stockés chez le liniculteur avant leur passage au teillage pour séparer mécaniquement les pailles et la fibre.
Une fibre de Lin
Les fibres sont des cellules situées dans la tige entre l’écorce et le bois. Les fibres forment des massifs (ou faisceaux) disposés en un arrangement circulaire autour du bois. Dans la direction longitudinale, les fibres sont collées les unes aux autres, très fortement soudées par un ciment interstitiel de telle sorte que les faisceaux fibreux présentent une longueur sensiblement égale à celle de la tige. Dans la section complète de la tige, on compte 20 à 40 faisceaux composés chacun de 20 à 40 fibres. La longueur des fibres varie entre 10 et 100 mm, leur diamètre varie de 20 à 40 microns. A maturité des plantes, les fibres représentent environ 25% de la masse sèche des tiges
Les fibres ont une structure tubulaire à faible élasticité (allongement à la rupture de 1 à 2%) et à forte ténacité (l’une des fibres naturelles les plus solides) qui assure la protection de la plante contre les intempéries, les micro-organismes mais aussi les insectes et les herbivores.
A maturité, les cellules fibreuses sont complètement remplies de différentes couches de parois. De l’extérieur vers l’intérieur on distingue la paroi primaire PI, puis les trois couches S1 à S3 de parois secondaires.
Les parois secondaires qui assurent l’essentiel des propriétés mécaniques des fibres sont composées de microfibrilles de cellulose unidirectionnelles entourées de polysaccharides matriciels appelés pectines ou hémicelluloses.
La cellulose est un homopolysaccharide composé d’unités β-D-glucose liées entre elles par une liaison . Les différentes chaînes de cellulose sont reliées par des liaisons Hydrogène reproduites de façon très régulières entre les groupements OH des différentes chaînes. Les pectines sont les polysaccharides les plus importants avec la présence de galactanes et de rhamnogalacturonanes de type I. Les hémicelluloses sont essentiellement des β-1-4 glucanes mais également des glucomannanes, galactomannanes …
Le rôle des pectines est, d’une part, d’assurer la cohésion entre les faisceaux de fibre en se complexant avec les ions calcium et, d’autre part, dans la paroi secondaire de faire une matrice enrobant les microfibrilles de cellulose. Les fibres comportent également d’autres polymères chargés négativement et des protéines (notamment riche en glycine). La composition des fibres varie selon l’origine et la variété de la plante.
Traitement des fibres
Rouissage
À maturité le lin est arraché, et non pas fauché, et couché dans le champ en andains. Commence alors la période de rouissage.
Le rouissage est la dissociation des parties fibreuses de la plante en éliminant la pectose qui soude les fibres (filasse) à la partie ligneuse sous l’action combinée du soleil et de la pluie.
Le rouissage nécessite suffisamment d’eau pour que la sève et les résines qui collent les fibres entre elles disparaissent, mais pas trop pour que les fibres soient intactes.
Le rouissage est une opération très importante de la production de lin. C’est lui qui fait en grande partie la qualité du lin. Il existe plusieurs techniques de rouissage. Traditionnellement en Belgique et en France le rouissage s’effectuait en rivière où l’on faisait tremper les bottes, donnant à l’eau une couleur rousse et une odeur nauséabonde provoquées par la décomposition bactérienne ; cette technique est interdite par l’Union Européenne pour des raisons environnementales. Le rouissage à l’eau en cuve quant à lui a quasiment disparu depuis les années 1980. Le rouissage à l’eau donnait une toile plus blanche et un résultat moins aléatoire que le rouissage à l’air (sur champ).
Pour l’anecdote, dans l’Oise, on rouissait le lin dans des bassins creusés dans le sol, qui s’appelaient en patois « Poc à Lin » (Poche à lin). Ce nom a donné celui de Poclain, célèbre constructeur aujourd’hui disparu de pelleteuses hydrauliques au Plessis-Belleville.
On est alors revenu à la technique la plus simple, le rouissage sur champ où le lin est étendu sur le champ pendant plusieurs semaines. Mais il est tributaire du temps qu’il fait. Si le lin est trop roui, il est brûlé dans le champ (obligatoire, car les fibres pourrissant difficilement et donc lentement, favorisent des maladies pour la culture suivante). Si le lin n’est pas assez roui, il est non teillable et donc invendable.
Le vent est encore un ennemi du lin au rouissage. Quand il souffle trop, on retrouve le lin en paquet, emmêlé en bout de champ.
Toutes ces difficultés font que la production de lin est limitée à certaines régions et très hétérogène d’une parcelle à l’autre (un orage localisé suffit pour changer la qualité). Comme pour le vin, on parle souvent de cru et de terroir pour le lin.
La forte probabilité d’une mauvaise récolte (on parle d’une bonne récolte tous les 10 ans) voire la possibilité de tout perdre font du lin une culture peu intéressante d’un point de vue purement économique. Par contre, le lin est une tête de culture qui permet une terre de meilleure qualité pour avoir de meilleures récoltes sur des plantes plus faciles.
Teillage
L’étape suivante est le teillage. Le teillage est la séparation des fibres du bois de la plante. Le mot vient de tilleul, le teil, instrument manuel à levier utilisé pour briser le bois et extraire les fibres.
Lors du teillage, les graines de lin sont récupérées, puis la tige est battue pour enlever le bois. Les morceaux de bois récupérés sont appelés les « anas ». La fibre ainsi récupérée est séparée en fibre longue et en fibre courte (les « étoupes »).
PROCÉDÉ DU TEILLAGE :
Après la récolte les pailles de lin sont travaillées tout au long de l’année dans les usines de teillage. Cette première transformation de la paille a pour but d’extraire les fibres des tiges rouies.
Arrivées à l’usine, les pailles sont déroulées et étalées sous forme d’une nappe. Le travail de l’opérateur est très important pour obtenir une nappe bien régulière, dont la densité est d’environ 2 kg par mètre linéaire.
Les tiges passent dans un égaliseur pour être parallélisées.
Lors de l’étirage, l’épaisseur de la nappe diminue progressivement en passant entre une série de disques dentés. Durant cette phase, sa vitesse linéaire est multipliée par 8 par le diviseur.
Les pailles sont ensuite broyées par des cylindres cannelés, à grosses dentures au début puis à fines dentures par la suite. Elles passent sous la cannelures des rouleaux avec un angle proche de 90° pour rendre le broyage plus efficace. Cette opération se fait alternativement coté pied, le bas de la tige, et coté tête, le haut de la tige. Les fragments de pailles, appelés anas, sont récupérés par aspiration.
Lors de l’écangage, les fibres sont nettoyées par des tambours, munis de lames de faible épaisseur. Elles frottent les tiges à une vitesse proche de 200 tours/min. Cette vitesse est adapté en fonction des caractéristiques de chaque lot de paille. L’opération est effectuée successivement côté pied et côté tête.
Les fibres courtes ou étoupes, moins résistantes, sont récupérées par aspiration sous la teilleuse. Le restant des anas est décollé en même temps.
En bout de ligne, les opérateurs font un tri afin d’homogénéiser les lots. Le lin teillé ou fibres longues est conditionné en balles ou en rouleaux d’environ 100 kg.
Ces fibres longues représentent 20 à 25 % de la plante. Un hectare de lin produit en moyenne entre 1 200 et 1 400 kg de lin teillé.
Les anas et les étoupes sont ensuite séparés par un secoueur.
Peignage
Le peignage est la seconde transformation du lin. C’est une préparation du lin teillé pour la filature. Les faisceaux de fibres vont être divisés et parallélisés.
L’opérateur forme une nappe à partir du lin teillé. Celle-ci doit être la plus régulière possible pour que le peignage se réalise dans de bonnes conditions.
Les peignes sont garnis d’aiguille de plus en plus fines, ils sont supportés par des tabliers rotatifs.
Les fibres vont être divisées de plus en plus finement au cours de leur avancée.
Le peignage des pieds se réalise en premier puis dans un deuxième temps celui des têtes.
En sortie de peigneuse, les fibres sont présentées en poignées grâce à l’action du séparateur situé entre le travail des pieds et des têtes.
Une pince les saisit et les dépose de manière à ce qu’elles se chevauchent sur une étaleuse.
Des barres munies de pointes appelées gills permettent de maintenir les fibres parallèle et de contrôler leur masse pendant qu’elles ont étirées par un rouleau en bois.
Un ruban de lin peigné est ainsi formé.
Les pots de ruban pressés aussi appelés bumps d’une longueur de 600 m à un kilomètre, selon les spécifications des clients, sont identifiés et conditionnés pour être expédiés en filature.