Les carlines, plantes voisines des chardons, sont sans doute les plus belles Composées tubuliflores françaises. Les deux espèces dont il
est traité ici, souvent sans tige, dont la fleur énorme s’ouvre sur le sol au milieu d’une rosette de feuilles piquantes, sont aujourd’hui vendues fort cher chez le fleuriste ou, sous un globe de verre redevenu à la mode, dans la boutique du marchand de cadeaux. C’est un grand honneur pour des fleurs que les paysans pauvres des Causses consommaient en guise d’artichauts, voici quelques décennies. Sans être rares, les grandes carlines n’habitent que les régions sèches et arides des montagnes du Sud et de l’Est de la France. La carline acaule atteint les Vosges, la carline à feuilles d’acanthe, la Savoie et le Plateau central. . Elles préfèrent les sols calcaires ensoleillés. Il est inutile d’être un botaniste distingué pour reconnaître les carlines : sur la pente herbeuse et pauvre que nous descendons vers une improbable source, par une fin d’été encore brûlante, nous oublions vite la soif et la fatigue si nos pas viennent à rencontrer une constellation de carlines épanouies sur les cailloux. Toute la plante est fleur; à quoi servirait l’aide insignifiante d’une tige quand on s’est agrandi à la dimension même de l’astre vénéré? Sur la colline sèche, les carlines sont les yeux purs de la vie végétale, si avides de soleil qu’ils en ont pris la forme, rejetant autour d’eux, sous forme de feuilles vulnérantes, le terrestre (diraient les alchimistes) de leur condition mortelle. La plus belle est la carline à feuilles d’acanthe; son capitule atteint parfois 15 cm de diamètre et s’épanouit toujours au ras du sol. Les feuilles sont velues-aranéeuses, au moins en dessous, largement découpées et bordées d’épines. Des bractées jaune pâle, luisantes, rayonnent autour du capitule.
La carline acaule a des feuilles glabres ou presque, plus finement découpées, des capitules moins larges, entourés de bractées argentées, fréquemment portés par une tige haute de 20 à 40 cm (malgré son nom qui signifie « sans queue »). Ces capitules ont la propriété de se fermer à l’humidité et de s’ouvrir à la sécheresse; ils peuvent donc, comme les pommes de pin, servir de baromètres.
Les deux grandes carlines fleurissent tout l’été. La fin de la floraison (août-septembre) est le meilleur moment pour cueillir les capitules destinés à un usage décoratif. C’est plutôt la carline acaule qu’on récoltait pour remploi médicinal.
La carline vulgaire (Carùna vulgarls L.), très commune dans les friches et les prés secs, jamais acaule, dont les tiges portent un ou plusieurs capitules larges au plus de 4 cm (à bractées intérieures jaunes et rayonnantes, très aiguës), possède les mêmes propriétés médicinales que ses deux grandes sœurs.
EMPLOI MÉDICINAL
La carline, dont on emploie la racine (de saveur amère) très longue, récoltée à l’automne et séchée à l’étuve ou au soleil, est tonique de la digestion, cholagogue, sudorifique et dépurative. Sa décoction à 3 % (bouillir 10 mn )
3 tasses par jour) combat le manque d’appétit, l’atonie digestive, et peut faire évoluer favorablement les dermatoses: eczéma, acné, urticaire. Dans la grippe, prendre 3 à 4 petits verres par jour du vin suivant : 50 g de racine finement broyée pour 1 litre de vin blanc chaud ; laisser 24 h à la tiédeur; passer. Ce vin peut servir, à l’extérieur, à nettoyer les plaies et les ulcères.
La rareté des carlines incite à leur préférer des succédanés, qui sont nombreux: bardane, chicorée, pissenlit, etc.
USAGE ALIMENTAIRE ET DÉCORATIF
Les carlines, proches parentes de l’artichaut, peuvent être consommées comme lui. On récolte les capitules avant maturité et on les fait bouillir à l’eau salée après avoir ôté les plus longues feuilles. Leur réceptacle charnu est excellent, surtout celui de la carline à feuilles d’acanthe; l’autre espèce est plus amère. Les paysans pauvres des Causses cévenols mangeaient autrefois communément la première et faisaient même sécher ses capitules pour l’hiver. Quelques gourmets allaient jusqu’à confire les « cœurs de carlines » au miel ou au sucre. Fraîche ou sèche, la plante pulvérisée peut servir à cailler le lait.
Si vous voulez aussi goûter à « l’artichaut sauvage » (dit encore « loque », « chardousse », « chardonnette »), rappelez-vous qu’il s’agit de plantes peu communes, déjà menacées par la vogue du bouquet sec et qui se raréfient par endroits de façon inquiétante. Leur cueillette est d’ailleurs interdite dans certains départements, protection d’autant plus justifiée que la culture de ces plantes est pratiquement impossible, même dans leur milieu préféré. Puissent les montagnes du Sud héberger toujours la grande carline à feuilles d’acanthe, la plus menacée, ce soleil des herbes que les anciens paysans clouaient sur la porte des granges où, parfois encore, il darde son œil lumineux, terreur des créatures de l’ombre et des forces néfastes.